Karine DELLIERE

Secrétaire générale du FAPE EDF


 « Ne laisse jamais personne te dire que tu as un profil atypique, tu as un profil en mosaïque, c’est bien différent. » Karine Dellière, 46 ans, aujourd’hui secrétaire générale du Fonds Agir Pour l’Emploi EDF pense souvent à ce conseil donné par une gestionnaire de carrière du nucléaire. Elle aura été tout à tour écolière en Finlande, étudiante au Bénin, directrice du développement à la CCAS, puis négociatrice à la direction du dialogue social d’EDF. Elle œuvre aujourd’hui pour l’insertion par l’emploi au FAPE EDF.

Impossible de lui coller une étiquette, de l’associer à un endroit unique, à une seule culture, une seule histoire… « Je est un autre » et Karine Dellière, 46 ans, a toujours eu des semelles de vent pour avancer au gré d’un parcours en mosaïque. D’ailleurs, n’est-elle pas née au milieu du ciel, dans un avion, entre Helsinki et Saint-Dizier ?

Nomade

Sa mère est d’origine finlandaise, son père vient de Toulon. Elle grandit entre la France et ses cigales, à Saint-Rémy-de-Provence, et la Finlande et ses rennes, en Laponie. « Dès l’enfance, j’ai appris à m’adapter. J’étais précoce, et j’ai eu la chance que mes parents acceptent que je puisse me former en Finlande, tout en passant les diplômes français. » Dans le pays des 1000 lacs, l’apprentissage est différent : « On pense en système, non en pyramide. Dans la classe, chacun est responsable des autres et plus autonome. »  Sa double culture lui donne envie d’explorer le monde. « J’ai opté pour un bac économie, puis pour des études de géographie et de géopolitique. » Direction l’université d’Aix-en-Provence où elle finance ses études avec des cours de travaux dirigés de géographie urbaine. Directrice de colos l’été, elle travaille aussi à la cartothèque de la fac. « Ces immenses cartes en papier me parlaient d’évasion ». Aussi, lorsqu’en master, on lui propose de travailler à Marseille ou en Afrique, elle choisit l’Afrique…

 Chercheuse et globe-trotter

« Ma professeure était persuadée qu’en Afrique, tout était inversé, qu’une femme pouvait réussir ses recherches plus facilement dans un univers d’homme. » La voici donc missionnée sur « l’organisation du port autonome de Cotonou, » la capitale économique du Bénin. « Je n’avais pas mesuré les difficultés. J’ai eu la chance de tomber sur des étudiants ghanéens qui m’ont briefée pour décrocher un stage dans le Port… je devais me vieillir pour jouer le rôle d’une blanche méchante et déterminée ! »  Voici donc Karine en tailleur-chignon, préparée à affronter cette ruche masculine où aucune femme blanche ne rentre. « J’y suis allée au culot. Le directeur commercial, par chance était passé par l’université de Provence. J’ai été prise en stage pour 6 mois, j’y suis restée 8 ans ! »

Le Port de Cotonou, c’est « l’Etat-Entrepôt de l’Afrique », le poumon de l’économie béninoise. Très vite, Karine comprend qu’il y a un système visible, « calqué sur le modèle occidental », et un volet invisible, « tout un secteur informel qui fait que le port fonctionne et est concurrentiel. » Elle y observe tous les postes, de la pesée des camions au contrôle des papiers, en passant par l’identification des marchandises. « Je suis vite devenue la mascotte du Port, » raconte celle qui finit par soutenir en France son master avec brio.

L’analyse systémique devient pour elle une clé pour comprendre le monde, et après son DEA, elle soutient un doctorat au CNAM de Paris. Pour son terrain, elle rejoint régulièrement le Port de Cotonou, et s’intéresse à l’animisme culturel. « Un ami m’a fait découvrir un univers au bord du Lac Nokoué. Cette communauté est devenue ma deuxième famille. » Le lundi, elle est sur le port, le week-end, en pirogue sur le lac. Navigatrice culturelle, elle n’a de cesse de créer des ponts. En France, elle enseigne dans un lycée agricole et emmènera ses étudiants de BTS au Bénin, où elle organise aussi durant 6 ans le « Vodou Jazz festival » de Ouidah.

 Négociatrice

Nous sommes en 2006. La Caisse centrale des activités sociales d’EDF (CCAS) qui souhaite alors écrire sa politique de développement durable lui propose de l’engager. « C’était une belle occasion pour moi de découvrir le monde des syndicats, j’ai fait mes armes comme l’on découvre un nouveau pays dont il a fallu que j’apprenne les codes. » On lui demande aussi de mettre en place des colonies de vacances en Corse avec une démarche de développement durable. Elle travaille sur la transformation des activités sociales avec des projets comme « Convoyage ». « Cela signifiait de passer   d’une gestion en local par les 106 CMCAS à une gestion centralisée par la CCAS pour les séjours de 17 000 jeunes.» Comment mettre d’accord 106 élus sur un même objectif ? « J’ai rencontré les 106 présidents. Nous n’étions pas dans le rapport de force, mais bien dans la négociation politique. Cela m’a passionné. »

En 2010, on lui confie la gestion du Festival de Soulac avec ses 18 000 jeunes festivaliers et 3000 bénévoles. « Il fallait accorder élus et direction dans un temps record, une grande pression. »  Mission réussie. A tel point que le président de la CCAS lui propose de devenir sa directrice de cabinet… Quatre ans plus tard, elle est tentée de « rejoindre la maison mère-EDF ».

 Responsable RSE

Recrutée par la direction des ressources humaines des services partagés, elle devient cheffe du pôle performance RH et rémunération. En parallèle, elle intègre l’ONG « Electriciens sans frontières » qui lui propose une mission au Bénin. Signe du destin ? Elle se retrouve dans le village découvert quelques années plus tôt, au bord du Lac Nokoué. « Ce projet va doter plusieurs milliers de lacustres de quatre « Cafés lumière », des microcentrales électriques solaires. »

A la Direction des services partagés, son DRH lui donne carte blanche. « A partir du moment où je traitais de performance opérationnelle, j’ai voulu penser en termes de performance globale. Je me suis intéressée à la Responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise (RSE) et à l’accord RSE. Cet accord transverse était en effet directement lié aux conditions de travail des salariés. Je l’ai déployé à la DSP. » A l’époque, la RSE intéresse d’autant plus que l’accord cadre date de 2006 et qu’il va être renégocié. « J’ai eu la chance d’intégrer l’équipe de négociation du nouvel accord à la direction du dialogue social. »

Cette fois, il faut remporter l’adhésion de toutes les filiales du Groupe, des 14 syndicats des pays signataires et travailler avec les différentes fédérations mondiales. La voici de nouveau négociatrice : « C’était un challenge d’autant plus intéressant que cet accord de progression était précurseur : il a notamment mis en place le devoir de vigilance, la protection des lanceurs d’alerte… ». Avec son expérience, elle entame un master «Dialogue social et stratégie d’entreprise » à Sciences Po Paris. Après avoir soutenu son mémoire sur les méthodes de négociation d’un accord RSE, on lui demandera même d’enseigner la démarche interculturelle en entreprises.

 Femme de terrain

Au bout de quelque temps, Karine éprouve l’envie « d’œuvrer dans la production directe et de « se rapprocher du terrain. » Elle crée alors sa propre entreprise de conseil juridique en RSE pour les PME/PMI, « Globall System ». Avant de rejoindre, il y a un peu plus d’un an, l’équipe du Fonds Agir Pour l’Emploi. « Je savais que le FAPE EDF finançait des projets d’insertion, mais j’ai découvert que les ressources de ce fonds de dotation proviennent avant tout des salariés et retraités du Groupe. Le FAPE est un modèle très original de cogestion paritaire entre organisations syndicales et directions. Tout cela animé par une équipe de 40 bénévoles, salariés, et retraités, souvent d’anciens dirigeants, experts financiers et directeurs du travail, qui épluchent les dossiers et accompagnent les structures. Je me suis dit que le FAPE était un outil de RSE extraordinaire. »

Karine découvre au quotidien des structures d’insertion, de jeunes entrepreneurs qui, aux quatre coins de la France, ont su innover pendant la crise Covid et s’adapter très vite. « Plus agile, plus créative, l’insertion est devenue un secteur d’innovations.  Elle a un impact immense sur le plan local en termes de développement économique, environnemental, de santé, de sécurité, de lien social. Toute une boucle positive se met en marche et booste l’économie comme la société. »

Avec l’équipe de l’incubateur Paris&Co, le FAPE EDF va mettre en place aux côtés de la délégation régionale Ile-de-France et de la RetD le premier outil de mesure d’impact des emplois d’insertion. « C’est la première fois qu’un tel outil est lancé par un Groupe. Chacun mesurait jusque-là son impact de son côté. Cet outil apportera une vision plus globale, en dévoilant les impacts moins visibles jusqu’à présent des projets sur un même territoire. » Avec son partenaire Solidarités Nouvelles Face au Chômage, le FAPE EDF lancera aussi début 2023 au sein d’EDF la Fresque de l’emploi durable, qui mettra en évidence les grandes transformations du monde du travail aujourd’hui.

 Femme libre

Mais pour l’heure, Karine s’active pour faire connaître ce modèle original et valoriser les projets soutenus par les salariés et retraités. « Notre principal moteur, c’est eux ! Nous avons besoin de leur soutien et de leurs dons pour exister. En 2021, 4500 emplois ont pu être créés ou sauvegardés. Pour continuer d’exister, nous avons besoin d’eux. » A bon entendeur, le FAPE lancera le 6 octobre prochain une campagne de dons exceptionnelle. « Si nous voulons poursuivre nos valeurs humanistes d’entreprise responsable et continuer à soutenir l’innovation sociale, le soutien au monde de l’insertion et de l’économie sociale et solidaire doit perdurer malgré les difficultés ». Femme de défis et d’engagement, Karine reste au fond fidèle à cette idée de relier visible et invisible. Mettre en avant ce qui se joue et non seulement ce qui se dit, mettre en lumière les vies minuscules pour garantir des progrès majuscules, n’est-ce pas au fond une façon de rassembler dans une même mosaïque différentes cultures et 1001 vies ? Un jour, en Laponie, une vieille dame lui a glissé cette phrase : « Une femme libre, c’est une femme qui est debout, qui a des bras, qui accompagne une terre, qui est accompagnée d’autres humains qu’elle considère égaux, et qui ne laisse à personne le droit de s’interposer entre elle et le monde invisible, par quelque jugement que ce soit. » Elle l’a entendue.

 

Bio en 5 dates :

2010 : Devient directrice de cabinet de la CCAS (Présidence et Direction générale)

2013 : Cheffe du pôle performance RH et rémunération de la Direction des services partagés d’EDF

2018 : Occupe le poste de responsable innovation puis responsable RSE à la direction du dialogue social de la DRH d’EDF

2019 : Enseignante à Sciences Po sur la démarche interculturelle en entreprises

2021 : Secrétaire générale du FAPE EDF

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