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Coralie Morel, présidente, fondatrice et coordinatrice d’Icyle


Coralie Morel, réparer les vélos et les vivants

Sauver des vélos de la décharge et les remettre en état, tout en permettant à des détenus de préparer leur réinsertion ? C’est l’idée de Coralie Morel qui a réussi à déplacer des montagnes pour mettre en place Icycle, le premier atelier et chantier d’insertion en maison centrale, celle de Saint-Martin-de-Ré. Portrait d’une Fifi Brindacier des temps modernes.

Direction l’Ile de Ré où Coralie Morel et son conjoint, Cédric Surmin alias “Shoodrik”, sculpteur-recycleur de vélos, se sont installés il y a un peu plus de cinq ans. « Je voyais qu’il avait de l’or dans les mains », raconte cette adepte de l’art et de recyclage, qui décide en 2018 de valoriser ce savoir-faire en montant une entreprise autour du recyclage de pièces de vélos en mobilier, luminaires et autres sculptures d’acier et de d’alluminium « Nous aimons réfléchir sur tout ce qui est transition énergétique et économie circulaire. Nous avons récupéré énormément de vélos de particuliers, mais nous n’avions plus d’espace de stockage. C’était aussi très chronophage de démonter les vélos, de les nettoyer et d’en trier chaque pièce. Je me suis dit que ces tâches pouvaient être une opportunité pour des personnes souhaitant se réinsérer professionnellement. » Coralie travaillait jusque-là dans les assurances. Petite, elle se voyait bien plus tard avocate. « Ce n’est pas pour rien que l’on m’appelait la Mère Teresa de la Macif ! », se souvient celle qui décide de porter à bout de bras son projet d’insertion, alors qu’elle ne connaît pas le secteur. Qu’importe, l’enjeu la passionne. Elle frappe à la porte de la Chambre de commerce et d’industrie de La Rochelle.

 

Projet de vie

Là, elle ne s’y attend pas, mais on l’oriente vers la prison de Saint-Martin-de-Ré qui reçoit des condamnés à de longues peines. « Ils cherchaient des concessionnaires pour faire sous-traiter certaines tâches. » Coralie installe donc un premier atelier dans le bâtiment de la citadelle. Durant trois ans, elle y emploie Nicolas, un détenu, qui trie et nettoie les pièces. Petit à petit, une confiance s’établit avec lui, mais aussi tout le personnel de la prison : « Nicolas ne parlait pas du tout au début. Et puis, il s’est mis à reparler, à réaliser de petites créations. J’ai pu mesurer l’évolution, nous nous sommes beaucoup investis. » A tel point que Coralie persévère et écrit au ministère de la Justice. « Mon projet était à la fois très cohérant sur l’Ile-de-R é – 138 km de pistes cyclables ! – et très vertueux pour les détenus. Réparer un vélo, c’est aussi se réparer un peu soi-même… » Un an plus tard, elle reçoit un coup de fil : « Seriez-vous partante pour monter une structure d‘insertion ? J’ai foncé : c’était mon projet de vie ! »

Quand des prisonniers-mécanos réparent les vélos

La Direction interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux et l’agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle, porteurs du projet avec Coralie, l’accompagnent dans ses démarches et le lancement de l’implantation de la première SIAE en Détention de Nouvelle Aquitaine. Coralie se fait aussi accompagner par l’incubateur POP, qui lui apporte une expertise en lien avec le territoire et la Région. Elle se tourne aussi vers France Active et bénéficie d’un soutien de 6000 € du FAPE EDF pour démarrer son projet. « J’avançais, des problèmes se posaient, on trouvait une solution. Tout était finalement aligné mais j’ai travaillé comme une dinguo ! », confie-t-elle. Au même moment, elle décide de mettre en place une offre à destination des travailleurs saisonniers sur l’Ile. « La Communauté de Communes de l’Ile de Ré avait réalisé une étude montrant que les transports sur l’Ile étaient inadéquats, d’autant plus que les tarifs de location des vélos pratiqués à la journée par les professionnels ne rentraient pas dans le budget des saisonniers. « Nous leur proposons désormais de louer des vélos pour un euro par jour, » souligne, Coralie qui, en juin 2022, met en place Icycle, chantier d’insertion basé dans la prison qui propose ce service.

« Le soutien du FAPE EDF nous a permis d’équiper l’atelier et d’embaucher une encadrante technique à temps plein, Stéphanie. »  Dans le bâtiment reconverti en atelier de réparation de vélos de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, Hubert, la quarantaine, entouré de quatre autres détenus, répare des vélos récupérés en déchetterie ou auprès de particuliers. « J’ai toujours voulu travailler dans l’accompagnement, et le vélo est un très bon support d’apprentissage. Le fait de travailler en équipe change la vie des détenus. Ils se sentent peu à peu plus confiants et aussi responsables : réparer un vélo demande d’être très rigoureux, des gens, notamment des enfants, vont les utiliser ! » Le chantier d’insertion est devenu au fil du temps un îlot au milieu de la prison. Et si, dans cet espace de 200 m2, les établis côtoient des étagères grillagées et cadenassés – « tout est répertorié et sous clé. La moindre erreur prend des proportions énormes, souligne Coralie » – les détenus parviennent à s’imaginer un avenir. « Au lieu d’être des laissés-pour-compte, on redevient quelqu’un », confirme Hubert.

Aujourd’hui, Coralie se dit toujours passionnée, même si elle se heurte à d’autres problématiques. « Au bout d’un an et demi, nous comprenons vraiment les enjeux de cette préparation à la sortie pour des détenus qui sont restés parfois jusqu’à 20 ans en prison. Or, le cadre légal n’est pas forcément adéquat à ce type de projet d’insertion. Depuis peu, je m’investis pour tenter de faire évoluer les pratiques, notamment concernant les permissions de sortie. » Il y a quelques mois, Coralie et l’équipe d’Icycle a fait sa première sortie à vélos avec les personnes détenues : « C’était pour chacun la première permission de sortie. Une grande première au sein de la Maison centrale et je ne pourrai utiliser que des superlatifs pour décrire cette journée avec eux… c’était fantastique et constructif ! » Un peu de liberté, à bicyclette…

Bon à savoir :

L’implantation du chantier d’insertion Icycle s’inscrit dans une politique de développement de l’emploi des détenus par le ministère de la Justice qui ambitionne d’avoir 50 % de travailleurs détenus d’ici 2027, contre 31 % annoncés en mars 2022. Au sein de la Maison centrale de Saint-Martin-en-Ré, sur 380 détenus, 250 ont un emploi ou une formation rémunérée.

Rédaction : Sophie Guichard / Copyright : Louis Bontemps